Monsieur « Pas le temps » et Madame « Trop de temps »
Monsieur « Pas le temps » et Madame « Trop de temps » vivaient ensemble depuis belle lurette.
Comme son nom l’indique, Monsieur « Pas le temps » n’avait jamais le temps. Son temps était sacré et il n’était pas question de l’étirer à volonté. Le temps qui était prévu était une durée limitée et il ne fallait pas la dépasser.
En revanche « Madame Trop de temps » ne voyait jamais le temps passer qui s’étirait sans compter. Elle était toujours surprise quand elle s’apercevait que la durée qu’elle avait prévue était réduite à néant puisqu’elle n’en avait pas respecté sa fin.
Monsieur « Pas le temps » était toujours énervé par l’insouciance de sa femme et il lui en faisait régulièrement la remarque, ce qui évidemment la culpabilisait ou l’énervait.
Madame « Trop de temps » aimait suivre le cours du temps suivant ses envies et le plus souvent son temps passait sans s’en rendre compte car l’extérieur l’envahissait, que ce soit ses visiteurs qu’elle n’avait en fait jamais envie de voir partir ou toutes les activités qu’elle affectionnait particulièrement et qu’elle ne voulait jamais cesser.
Alors Monsieur « Pas le temps » tempêtait la plupart du temps, argumentant qu’une fois de plus elle s’était faite envahir, ce qui l’empêchait inévitablement de pouvoir réaliser ce qu’elle aurait dû faire pendant le temps qu’elle avait dispersé et perdu à tort. Et cette attitude inconsidérée l’énervait fortement même s’il disait qu’il ne s’en occupait plus puisque de toute façon cela ne servait à rien.
Madame « Trop de temps » savait très bien que son mari ne pouvait pas faire autrement que de s’en occuper puisqu’il comptait les heures, les minutes et les secondes qui s’écoulaient au-delà de ce qui était prévu.
Le temps de Monsieur « Pas le temps » n’avait pas la même valeur que celui de Madame « Trop de temps » et il ne fallait ni le faire attendre ni dépasser les horaires prévus. Même quand Madame « Trop de temps » faisait des efforts et qu’elle parvenait pendant de longues périodes à bien gérer le temps imparti, elle savait pertinemment qu’à la moindre défaillance Monsieur « Pas le temps » lui tomberait dessus pour lui faire remarquer son dérapage de façon très désobligeante.
Tous deux souffraient donc et il était bien difficile de trouver un équilibre.
Madame « Trop de temps » devait trouver un moyen de régler sa tendance à toujours faire « trop », « trop de temps », trop ceci, trop cela et Monsieur « Pas le temps » devait trouver un moyen pour accepter des décalages horaires quand ils n’avaient pas de conséquence néfaste pour la suite des journées, ce qui de son point de vue ne pouvait être le cas.
Et c’était bien cet équilibre qui était difficile à gérer.
Chacun devait y mettre du sien et il était bien clair que Monsieur « Pas le temps » gérait son temps spatialement puisque les durées étaient en réalité associées aux actions à réaliser et que l’étirement du temps d’une action empiétait nécessairement sur l’action suivante, ce qui déséquilibrait totalement la conception de ses journées. Quant à Madame « Trop de temps » de toute façon elle n’avait aucune notion de la durée réelle des actions et cela expliquait son incapacité à diriger son temps et c’est finalement ce qui désespérait Monsieur « Pas le temps » qui n’aimait pas se laisser déborder.
Ainsi donc lequel des deux devait le premier accepter de s’adapter à l’autre pour ne plus entrer en conflit ? Était-ce Madame « Trop de temps » qui devait mieux gérer son temps ou Monsieur «Pas le temps » qui devait davantage accepter les intrusions dans son temps ? La question est ouverte !
Danièle Berry, 8 octobre 2011
Date de dernière mise à jour : 10/05/2025
Commentaires
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- 1. Michel Berry Le 10/05/2025
Très beau conte sur l'opposition du rapport au temps. Je ne sais pas s'il peut y avoir une issue, tellement le rapport au temps est ancré dans l'identité des personnes. Le rapport au temps de Monsieur "Pas le Temps" est lié à l'enchaînement des actions qu'il entreprend, et peut-être évoluera-t-il par exemple quand il sera à la retraite... à moins que le manque d'action le déstabilise et crée une sorte de dépression
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