Le voleur d'âmes
- Par berry-daniele
- Le 15/06/2025 à 08:16
- Dans Conte du jour
- 1 commentaire
Aujourd'hui je vous propose de lire ce conte. N'hésitez pas à publier vos commentaires, je les lirai attentivement.
Danièle Berry, 15 juin 2025
Le voleur d’âmes
« Vivre, c’est naître lentement. Il serait un peu trop aisé d’emprunter des âmes toutes faites ! » (Antoine de Saint Exupéry)
A l’affût, il était sans cesse à l’affût. Il voulait remplir son sac de toutes les âmes qu’il rencontrait. Qu’elles soient belles ou laides, généreuses ou avares, gentilles ou méchantes, peu importait, ce qui comptait pour lui était de se les approprier.
La question qui intriguait tout le monde était : mais pourquoi donc cette étrange idée ?
Il faisait très peur avec son allure de voleur, son sac qui courbait tellement son dos que tous ceux qui le croisaient pensaient qu’il était très lourd et donc rempli d’âmes !
Comment était-ce possible d’ailleurs ? Les âmes ne sont pas palpables, ne sont pas des objets, alors comment pouvait-il ainsi terroriser les hommes, les femmes et les enfants qu’il voulait voler ?
Et, tout en marchant, il secouait son sac en clamant :
- Bonnes gens, je viens chercher votre âme pour remplir mon sac ! Ne vous inquiétez pas, je vous la rendrai, mais j’ai juste besoin de vous l’emprunter !
Et tout le monde s’enfuyait de peur.
Fatigué de courir à la recherche d’âmes, il s’assit sur une pierre pour contempler le paysage qui l’entourait. Comment faire pour se procurer une âme ? Il lui en fallait pourtant une, car il n’avait aucun souvenir de son enfance et finissait par penser qu’il était venu d’une autre planète. Il s’était retrouvé un jour à cet endroit, déjà adulte, avec son sac sur le dos sans savoir quelle était sa mission sur terre. Alors il s’en était créé une : chercheur d’âmes. Il ne voulait pas les voler, mais juste en trouver une qui pourrait lui convenir quelques temps pour l’aider à trouver sa destinée. Et il ne pouvait pas y parvenir, puisque personne ne voulait l’approcher.
Il se mit à réfléchir longuement au type d’âme qui lui faudrait.
S’il choisissait une âme de vieillard, il ne pourrait pas longtemps en profiter, car rapidement elle risquerait de rejoindre le ciel dans lequel toutes les âmes se retrouvent. S’il choisissait une âme d’adulte, il ne pourrait pas savoir quel enfant il avait été. Il ne pouvait pas choisir une âme de femme, puisqu’il était un homme. Alors il réalisa qu’il n’y avait qu’une seule possibilité : trouver une âme d’enfant, même si le risque pouvait paraître considérable. Une âme d’enfant dans un corps d’homme ! Il serait encore davantage méprisé. Mais pourtant c’était sa seule solution. Il lui fallait trouver un enfant, pas trop jeune, car il devait parler correctement et pas encore adolescent … Il devait trouver un enfant d’une dizaine d’années.
Il attendit. Il s’était arrêté sur le chemin de l’école et il espérait bien qu’un enfant de cet âge passerait. Alors il n’aurait plus qu’à tenter de le convaincre de l’aider en lui prêtant son âme.
Une nuée d’enfants et d’adolescents envahit le chemin en riant et en courant.
Il les regarda passer. Aucun d’entre eux ne fit attention à lui. Insouciants du danger, ils ne pouvaient imaginer que le voleur d’âmes les guettait. Ils ne s’arrêtèrent pas, laissant leur observateur dépité.
Consterné, le chercheur voleur d’âmes, se leva pour reprendre sa route, lorsqu’il aperçut au loin une petite silhouette se diriger vers lui. C’était un enfant d’environ huit ans, un garçon qui n’avait pu suivre ses camarades tellement ils couraient vite. Il semblait triste, mais quand il aperçut l’étranger avec son sac sur l’épaule, il stoppa devant lui en lui adressant un large sourire.
- Bonjour Monsieur, qui êtes-vous ? Demanda-t-il.
- Ah, je ne t’ai encore jamais vu ici. Qui es-tu ?
- Je m’appelle Petit Pierre et j’ai huit ans. Mais vous, qui êtes-vous ?
- Eh bien, justement je ne sais pas qui je suis, c’est bien le problème, mais ici on m’appelle « le voleur d’âmes ». Pourtant je ne suis pas un voleur, je suis chercheur.
- Ah, c’est intéressant ! Et vous cherchez quoi ?
- Je cherche une âme, lui répondit l’homme attristé. Mais je ne trouve personne qui voudrait me prêter la sienne.
- C’est étrange, lui répliqua le garçonnet. C’est quoi une « âme » ?
- Ah, tu ne sais pas ce que c’est ? C’est ce qui quitte le corps après sa mort et qui va droit au ciel.
- Oh mais c’est magique ! Ce doit être extraordinaire de se libérer ainsi de son corps pour s’envoler ! Et on peut revenir du ciel ?
- Cela, je ne le sais pas encore puisque je n’ai pas trouvé d’âme ! Lui répondit l’homme, surpris des réactions de cet enfant.
- Moi, je veux bien vous prêter la mienne quelques heures, mais à deux conditions.
- Oui, lesquelles ?
- La première, que vous me la rendiez et la deuxième que vous ne la gardiez pas trop longtemps, parce que si je reviens chez moi trop tard, je me ferai disputer par mes parents, lui dit gentiment l’enfant.
- Oui, je comprends. Alors disons, si je t’emprunte ton âme une demi-heure, est-ce que cela t’irait ?
- Aucun souci ! Mais ça ne fait pas mal de me la prendre ?
- Non, je ne pense pas. Nous allons nous allonger l’un à côté de l’autre et nous attendrons … Allons derrière ce bosquet, c’est inutile que quelqu’un nous découvre, il nous prendrait pour des fous !
Ils s’allongèrent ainsi l’un à côté de l’autre et attendirent. Ils fermèrent les yeux, espérant que l’âme de l’enfant rejoindrait l’homme qui pourrait la mettre dans son sac pour l’essayer une petite demi-heure.
Hélas, rien ne se passa. L’enfant ouvrit les yeux et dit à l’homme :
- Donnez-moi votre main pour que je la serre bien fort, peut-être que cela marchera.
Alors l’homme prit la main de l’enfant et la serra aussi bien fort.
La chaleur qui se dégagea des deux mains leur remplit leur corps et ils se sentaient bien.
Le temps passa et au bout d’une demi-heure, l’enfant dit à l’homme :
- Tu vois, cela ne fonctionne pas, c’est peut-être parce que chacun de nous a une âme et que tu as aussi la tienne, mais que tu ne l’as pas encore découverte.
- Oui, sans doute.
- En fermant les yeux, j’ai réfléchi à ce que la maîtresse nous a raconté aujourd’hui. Elle nous a parlé de l’amnésie. Tu sais ce que c’est ?
- Ah non, c’est quoi ? Répondit l’homme, intrigué.
- C’est quand quelqu’un perd la mémoire de son passé et ne sait plus qui il est. Tu es peut-être amnésique, ce qui expliquerait que tu ne saches plus qui tu es. Mais elle nous a dit que, même quand on était amnésique, on a une existence, on vit, puis on meurt. Alors donc toi aussi, puisque tu vis, tu as une âme. Et quand ce sera le moment, tu pourras laisser ton âme s’envoler dans le ciel. Voilà ce que j’ai compris en prenant ta main.
- Ah ! Merci, lui dit l’homme qui se remit tout à coup sur ses pieds. Tu as raison ! Alors je n’ai plus besoin de chercher une âme, puisque j’en ai une ?
- Non, et du coup, tu ne feras plus peur à personne, car tu seras comme tout le monde, enfin presque puisque tu as perdu ton passé. Mais tu n’as qu’à te choisir un nom qui te convienne, tu n’as qu’à rencontrer des gens qui puissent t’aimer et que tu puisses aimer et tout ira bien !
- Oh que tu es gentil ! Alors, tu es le premier de tous. Tu es mon ami et je te reverrai souvent. Mais il est temps pour toi de partir, il ne faut pas inquiéter tes parents.
- Oui, tu as raison, lui dit l’enfant, qui l’embrassa sur la joue.
L’homme garda longtemps sa main sur sa peau, comme pour ne pas laisser s’envoler cette grande preuve d’amour.
L’enfant dut expliquer à ses parents pour quelle raison il était en retard, mais personne ne le crut. Cela lui était égal, car il vit que plus personne ne se moquait de cet homme différent de tous, simplement parce qu’il ne savait plus qui il était.
Petit Pierre et l’homme se retrouvèrent souvent.
Cet homme avait choisi pour prénom Job.
Danièle Berry, 14 février 2014
contes symboliques âmes homme enfant
Commentaires
-
- 1. Michel Berry Le 15/06/2025
Très beau conte sur la quête de la mémoire et de l'identité.
Ajouter un commentaire